Carnophobie généralisée – Quand la viande est devenue poison

Le végé est à la mode! Vous vous questionnez sur cette nouvelle vague? Est-ce qu’on devrait éviter la viande? La réponse ici!

Quel est le sujet le plus discuté concernant la nutrition ces temps-ci? Le végétarisme. Le Guide alimentaire 2019 a semé l’émoi dans la population lors de sa sortie en début d’année, car il suggère dorénavant de consommer plus souvent des aliments protéinés d’origine végétale. Selon une étude des universités Dalhousie et de Guelph, ce sont 6 millions et demi de Canadiens qui ont diminué ou éliminé leur consommation de viandes dans les derniers mois1. La vague de changement se fait donc clairement sentir. La question demeure : Devrait-ton avoir peur de manger de la viande?

Je vous avertis d’avance, dans ce texte, j’irai un peu en sens contraire de la mode actuelle. Je sais que j’aurai à peser mes mots pour que mon message soit bien interprété et que, malgré tout, certains comprendront tout croche, mais je trouve ça quand même important de partager mon opinion de professionnelle en nutrition sur le sujet. Je ne m’appelle pas « maudite nutritutrice » pour rien. Je ne suis pas là pour plaire, mais pour enseigner. Par contre, aller en sens contraire d’une foule, c’est un défi. Si jamais tu es un vegan pur et dur, je te suggère d’arrêter ta lecture dès maintenant, mon texte ne s’adresse pas à toi. Je m’adresse aux gens qui essaient de comprendre ce qui se passe présentement, ceux qui désirent savoir s’ils vont vraiment mourir demain matin s’ils continuent de manger de la viande et qui veulent comprendre comment ce qu’on consomme depuis toujours est soudainement devenu L’ALIMENT À ÉVITER.

Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom! Allo les fans d’Harry Potter! 😀

Une tempête dans un verre d’eau

D’abord, je considère qu’on a fait une tempête médiatique avec quelque chose qu’on savait déjà et que les nutritionnistes répétaient depuis plusieurs années. En fait, depuis que je suis nutritionniste (j’ai gradué en décembre 2007), j’ai toujours répété le même message : diminuez vos portions de viandes et essayez d’intégrer plus souvent au menu des protéines d’origine végétale. D’ailleurs, regardez donc ce que j’ai trouvé dans le guide alimentaire 2007 :

« Consommez souvent des substituts de la viande comme des légumineuses ou du tofu ». Oh, surprise! Quoi, on le recommandait déjà dans le guide alimentaire de 2007?! Bien…oui!! Comme quoi les médias ont pas mal plus de pouvoir qu’on le croit sur les messages qui sont véhiculés et ceux qui ne le sont pas. En 2007, ce n’était pas encore à la mode de parler de végétarisme mais, en 2019, si tu es cool, tu parles le langage full végé/vegan/anti-carnivore! Les influenceurs le font et, ce que les influenceurs font, on le fait tous! C’est pourquoi les médias se sont garrochés là-dessus (et aussi sur le fait que le lait ne faisait supposément plus partie du guide alimentaire, alors que c’est faux, mais je pourrais écrire un texte en entier là-dessus, donc je vais juste fermer ma parenthèse!). Gardez en tête qu’on vous partage ce qui attire des clics. Le végétarisme attire des clics, alors on a souligné en caractère gras le fait que le nouveau guide alimentaire favorisait les protéines végétales. Vous avez donc possiblement cliqué là-dessus, avez lu l’article qui étalait en long et en large les méfaits d’une grande consommation de viandes (sans aucune nuance) et vous vous êtes mis à la craindre un peu ou beaucoup….alors qu’en 2007, à la sortie de l’avant-dernier guide alimentaire, votre consommation de viandes était probablement le moindre de vos soucis. Pourtant, en manger beaucoup était toute aussi nocif à ce moment-là et on le savait.

Sur quoi se base-t-on pour faire des recommandations à une population?

Quand on fait des recommandations à une population, c’est parce qu’on a étudié ses individus et on a établi une liste des améliorations à apporter à leur style de vie pour qu’ils soient en meilleure santé. Certaines populations se ressemblent, d’autres moins. Par exemple, l’alimentation des Canadiens ressemble à l’alimentation des Américains, mais ressemble moins à celle des Japonais. C’est pour cette raison qu’il y a différents guides alimentaires pour différents pays. Donc, quand les professionnels de Santé Canada recommandent aux Canadiens de favoriser les protéines végétales, ce n’est pas parce que de consommer de la viande est nécessairement dangereux, mais parce que, chez nous, on en consomme trop (particulièrement les viandes rouges et les viandes transformées, j’y reviendrai) et qu’on consomme trop peu de protéines végétales, donc on ne profite pas de leurs bienfaits.

En me basant sur les données d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, pour 2017, les Canadiens auraient consommé, en moyenne, 57,8 kg de viandes/habitant 2. Ça voudrait dire que la moyenne quotidienne de consommation de viandes seulement (ça exclut les poissons, les crustacés et tous les substituts comme les œufs et les noix) pour un canadien était alors de 158 g par jour. Quand le guide alimentaire présentait encore des portions, une portion de viande était de 75 g. Donc, la moyenne de consommation par habitant était au-delà de 2 portions de viandes par jour. Encore une fois, je précise qu’on parle de viandes seulement, donc en considérant qu’on suggérait 2 portions de viandes ET SUBSTITUTS pour les femmes et 3 pour les hommes, ça ne laissait pas beaucoup de place aux substituts. Bref, en constatant que les Canadiens ont encore une consommation assez élevée de viandes et une consommation plus faible de protéines d’origine végétale, la recommandation de Santé Canada de favoriser les aliments protéinés d’origine végétale va de soi! Est-ce que ça veut dire pour autant que la viande devrait être bannie? Bien non! Ne tombons pas d’un extrême à l’autre!

Quels sont les aspects négatifs reliés à la consommation de viandes?

Évidemment, je ne peux pas passer à côté de l’aspect environnemental, mais je vous en parlerai un peu plus loin. Pour l’instant, concentrons-nous sur les impacts que ça peut avoir sur notre corps.

Athérosclérose pouvant mener à un AVC ou un infarctus

Dans la viande, il y a du cholestérol et des gras saturés, 2 nutriments qui ne sont pas des alliés pour une bonne santé quand on en retrouve en grande quantité (et même moins quand une personne à une maladie chronique comme le diabète ou une maladie cardiaque). Un peu de cholestérol et de gras saturés, dans un contexte de saine alimentation (consommation de beaucoup de légumes et fruits, de produits céréaliers à grains entiers, etc.) et d’un mode de vie actif, c’est tout à fait acceptable. L’idée est de limiter les quantités, entre autres en prenant des portions plus petites, en choisissant des coupes plus maigres, en enlevant le gras visible, etc. On ne se le cachera pas, souvent, les viandes sont accompagnées de sauces riches ou sont cuites de manière à ajouter beaucoup matières grasses, de sel et parfois même de sucres (certaines marinades) et c’est là que ça devient problématique. Donc, quand vous consommez de la viande, surveillez ce que vous y ajoutez et privilégiez des modes de cuisson qui demandent moins de gras. Le fait de cuire la viande à haute température peut aussi être risqué puisqu’il peut y avoir formation de substances cancérigènes. Limitez la friture et la cuisson sur le barbecue et sur le grill. Plus la viande est carbonisée, plus il y a formation de substances cancérigènes.

Évitez de faire calciner vos viandes!

Les viandes rouges, les viandes transformées et le cancer

Ce qui a beaucoup fait jaser par rapport à la viande ces dernières années, c’est le lien que des études ont fait entre certains cancers et la consommation de viandes rouges et de viandes transformées, particulièrement le cancer colorectal. Il pourrait aussi y avoir un lien avec le développement de maladies cardiovasculaires et le diabète. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) ont classé la consommation de la viande rouge comme étant probablement cancérogène pour l’homme et la viande transformée comme étant cancérogène pour l’homme. L’OMS va encore plus loin concernant les viandes transformées et précise que chaque portion de 50 grammes de viande transformée consommée quotidiennement accroît le risque de cancer colorectal de 18%3. La question que vous vous posez peut-être à ce moment-ci, c’est qu’est-ce qui est considéré comme étant une viande rouge et qu’est-ce qui est considéré comme étant une viande transformée? Voici les définitions de l’OMS :

Viandes rouges : Tous les types de viande issus des tissus musculaires de mammifères comme le bœuf, le veau, le porc, l’agneau, le mouton, le cheval et la chèvre.

Viandes transformées : Viandes soumises à différents traitements pour augmenter leur durée de conservation (salaison, maturation, fermentation, fumaison ou d’autres processus mis en œuvre pour rehausser sa saveur ou améliorer sa conservation), par exemple le jambon, les saucisses, le bacon, le salami et autres charcuteries.

C’est certain qu’en lisant ceci, c’est assez alarmant. On a tout de suite tendance à se dire qu’on arrêtera complètement d’en consommer. C’est pourquoi je veux aussi vous partager les réflexions du Dr Christopher Wild, Directeur du CIRC : « Dans le même temps, la viande rouge a une valeur nutritive. Par conséquent, ces résultats sont importants pour permettre aux gouvernements comme aux organismes de réglementation internationaux de mener des évaluations du risque, et de trouver un équilibre entre les risques et les avantages de la consommation de viande rouge et de viande transformée, et de formuler les meilleures recommandations alimentaires possibles»3.

Allons voir ce qu’en pensent d’autres scientifiques et professionnels de la santé.

Recommandations du Fonds mondial de recherche contre le cancer

Selon le Résumé scientifique du rapport « Alimentation, Nutrition, Activité Physique et Prévention du Cancer : une Perspective Mondiale » du Fonds mondial de recherche contre le cancer, les recommandations sont de consommer moins de 500 g de viande rouge par semaine, dont une part minime ou nulle de charcuterie. Toutefois, dans le rapport, on peut aussi lire ceci : « Une approche intégrée des preuves scientifiques démontre que de nombreux aliments d’origine animale sont nutritifs et bons pour la santé lorsqu’ils sont consommés en quantités modérées. En outre, la viande peut apporter des nutriments importants, notamment des protéines, du fer, du zinc et de la vitamine B 12. Le panel souligne que cette recommandation n’encourage pas une alimentation sans viande ou comprenant très peu d’aliments d’origine animale »4.

Donc, la viande apporte aussi des bienfaits!

Vous savez, quand je vous dis qu’on doit respecter le juste milieu dans tout, eh bien, c’est de ça dont je parle. Que ce soit du côté de l’OMS, du CIRC ou encore du Fonds mondial de recherche contre le cancer, personne ne s’est mis à paniquer et à dire qu’on ne devrait plus jamais manger de viande. Ils ont tous calmement pensé à l’autre côté de la médaille et ont réfléchi aux conséquences que le fait de ne plus consommer de viandes pourrait avoir sur certaines personnes.

Bien sûr, pour les viandes transformées, je n’ai pas beaucoup de points positifs à leur donner, mis à part que c’est bon, de temps en temps, une tranche de bacon! Par contre, pour la viande rouge, c’est vrai qu’elle contient plusieurs nutriments importants et surtout, facilement assimilables par notre corps, comme la vitamine B12 et le fer (qu’on peut aussi aller chercher dans les viandes blanches, toutefois).

Ce qui me fâche, c’est, par exemple, quand je lis des vegans qui tentent de convaincre des gens d’éliminer la viande en disant que les légumineuses contiennent beaucoup plus de fer que le bœuf.

Attention, c’est vrai qu’ils peuvent en contenir plus en terme de quantité, mais le fer contenu dans le bœuf est beaucoup plus biodisponible que celui provenant des légumineuses, ce qui veut dire qu’il sera mieux absorbé par notre corps. Le fer provenant des viandes est appelé « fer hémique » et celui provenant des végétaux est appelé « fer non-hémique ». Le fer non-hémique est moins bien absorbé par notre corps. Donc, la pauvre maman qui fait de l’anémie et qui ne s’est pas fait expliquer le concept du fer hémique et non-hémique risque fort bien de ne pas améliorer sa situation si elle croit que les légumineuses feront des miracles pour elle! Si elle avait su que ce ne sont pas toutes les formes de fer qui sont égales, ça lui aurait permis de penser à ajouter une source de vitamine C (poivron rouge, fraise, kiwi, orange) à son repas de légumineuses, car cette vitamine augmente l’absorption du fer non-hémique.

Question environnementale

Une des raisons qui fait que certaines personnes voient les consommateurs de viandes d’un mauvais œil, c’est que l’élevage est l’une des causes principales des problèmes d’environnement les plus pressants, soit le réchauffement de la planète, la dégradation des terres, la pollution de l’atmosphère et des eaux et la perte de biodiversité5.  Évidemment, il faut y voir le plus rapidement possible. Par contre, la solution n’est pas de radier tout élevage de la planète.

Déjà, en 2006, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture avait des pistes de solutions comme la restauration des terres endommagées par la conservation des sols, une meilleure gestion des systèmes de pâturage, l’amélioration de la nutrition animale et de la gestion du fumier pour réduire les émissions de méthane et d’azote, l’amélioration de la protection des zones vierges, etc. Où en sommes-nous? Il n’y a pas grand-chose de fait!

En plus, quand on se dit qu’au Canada seulement, 60% de la nourriture produite est gaspillée, soit 35,5 millions de tonnes métriques par année6, je crois qu’on a là une bonne piste de solution à notre problème. Imaginez la quantité de viandes qu’on retrouve là-dedans…et on ne parle que du Canada ici. Donc, oui, de diminuer sa consommation de viandes peut être une solution, mais de limiter ce terrible gaspillage en serait une pas pire pantoute aussi, il me semble!

Comprenez-moi bien, le but de ce texte n’est pas vous dire de manger de la viande sans vous soucier de votre santé et de l’environnement, au contraire! Si la nouvelle mode du végétarisme fait en sorte de sensibiliser certaines personnes à consommer moins de viandes, tant mieux! Le problème est plutôt que, souvent, ce sont les personnes déjà soucieuses de leur alimentation qui vont modifier leurs habitudes de vie de façon drastique (par exemple en bannissant carrément la viande), alors que ce n’est pas ce qu’on recommande.

La mode des burgers végé

Ce qui me dérange aussi, c’est le manque de clarté dans le message véhiculé qui fait que certaines compagnies se mettent à surfer sur cette vague pour faire du profit. On a associé végétarisme à « santé », mais ce n’est pas toujours le cas. Des chips, c’est végé, t’sais! Quand je regarde les burgers végé qui font fureur ces temps-ci, ça me jette par terre. J’en ai comparé 2 semblables d’une même compagnie :

  Version végé Version régulière
Lipides totaux (gras) (g) 29 20
Protéines (g) 22 19
Calories 500 400

Je vais vous laisser juger par vous-même. Quant à moi, de la malbouffe, qu’elle soit végé ou non, c’est de la malbouffe…il ne faut juste pas se faire croire des peurs. Choisissez donc en fonction de ce que vous aimez le plus, je crois que ce sera plus logique que de penser que vous faites un choix santé en optant pour la version végé. En plus, même au niveau environnemental, je me questionne. J’ai vu que l’huile de coco était utilisée dans la fabrication des boulettes végé…si je ne me trompe pas, c’est fabriqué en Asie du Sud-Est…pas à la porte, hein?! Donc, est-ce que c’est un meilleur choix environnemental? Je ne sais pas, mais permettez-moi de me questionner.

Le problème en nutrition, c’est qu’on tombe souvent dans les extrêmes. Les gens viennent mêlés parce que rien n’est tout noir ou tout blanc, tout est toujours gris, mais les choses sont majoritairement expliquées en blanc ou en noir pour simplifier le tout. C’est comme s’il fallait absolument prendre un côté ou l’autre, alors que le juste milieu est souvent la solution idéale. Oui, le fait de consommer trop de viandes, surtout les viandes rouges et les viandes transformées, augmente les risques pour la santé, mais ça ne veut pas dire pour autant qu’on doit tous devenir végétariens! La viande a aussi ses avantages! Non, elle n’est pas devenue un aliment à éviter à tout prix. Par contre, encore là, est-ce que ça veut dire que c’est impossible d’être végétarien ou végétalien et en santé? Bien non! C’est possible, tant qu’on ne fait pas ça n’importe comment et qu’on sait comment aller chercher les nutriments qui seront moins facilement accessibles. Bref, peut-on arrêter cette guerre entre végés et carnivores? À chacun sa façon de s’alimenter, de vivre sa vie, de faire ses propres choix!

[maxbutton id= »3″]

[maxbutton id= »7″]

Sources :

  1. Radio-Canada. | En ligne | : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1157210/produits-vege-gagnent-popularite-vegane-vegetalien-vegetarien-consommation-viande Page consultée en mai 2019.
  2. Agriculture et Agroalimentaire Canada. | En ligne | : http://www.agr.gc.ca/fra/industrie-marches-et-commerce/renseignements-sur-les-secteurs-canadiens-de-l-agroalimentaire/volaille-et-ufs/information-sur-le-marche-de-la-volaille-et-des-oeufs-industrie-canadienne/indicateurs-de-l-industrie/consommation-par-habitant/?id=1384971854413 Page consultée en mai 2019.
  3. Organisation mondiale de la santé. | En ligne| : https://www.who.int/mediacentre/news/releases/2015/cancer-red-meat/fr/
  4. Fonds mondial de recherche contre le cancer. RÉSUMÉ SCIENTIFIQUE DU RAPPORT Alimentation, Nutrition, Activité Physique et Prévention du Cancer : une Perspective Mondiale. | En ligne |: https://www.wcrf.org/sites/default/files/french.pdf Page consultée en mai 2019.
  5. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. |En ligne|: http://www.fao.org/ag/fr/magazine/0612sp1.htm Page consultée en mai 2019.
  6. Radio-Canada. | En ligne | : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1147385/gaspillage-nourriture-poubelle-second-harvest Page consultée en mai 2019.