On est actuellement plongé dans une période qui marquera notre histoire. Vivre une pandémie, c’est inquiétant, et ce l’est d’autant plus à l’ère des réseaux sociaux et de la désinformation. Heureusement, la majorité des gens a fini par entendre raison (pas sans avoir douté de la gravité de la situation pendant quelque temps), mais il reste encore et restera toujours quelques récalcitrants qui croient avoir un cerveau si évolué que les gens ordinaires ne peuvent tout simplement pas comprendre leur vision des choses tellement leur supériorité est extraordinaire et inaccessible. La science, ce n’est pas pour eux. Ils sont au-dessus de ça.
Aujourd’hui, je vais délaisser mon chapeau de nutritionniste pour mettre mon chapeau de citoyenne parce que, même en faisant partie de la communauté scientifique, on a aussi le droit d’avoir une opinion et de l’exprimer.
Depuis le début de l’éclosion du coronavirus à Wuhan, on a tous entendu des tonnes d’affaires :
« C’est pas pire que la grippe »
« Il y a plus de monde qui meurent de ben d’autres choses que de ça »
« Moi, toute façon, j’suis pas à risque »
« Ça va tuer ben plus d’entreprises que de monde »
« Ils parlent de ça au lieu de parler d’environnement »
« Les médias exagèrent et veulent juste nous faire peur »
Etc.
Mais, la phrase qui, selon moi, est la big big winner de toutes, c’est quand j’entends :
« Ça, c’est ce qu’on appelle la sélection naturelle, les plus faibles meurent pis ça fait le ménage, ça a toujours été de même ».
Ataboy. La première chose que j’aurais envie de répondre à ces personnes, c’est que, si ça marchait réellement comme ça, elles seraient mieux de se surveiller parce que la sélection naturelle est à la veille de sonner à leur porte. Mais, je suis quand même un peu polie, des fois.
C’est vrai, la vie a, à travers les années, fait en sorte que certaines personnes s’en sortent mieux que d’autres et ça a créé, au fil des générations, des humains un peu plus aptes à survivre sur cette planète. L’adaptation semble être la clé : mieux on s’adapte, plus on survit. Par contre, l’adaptation, ça ne veut pas dire de s’asseoir sur ses lauriers et laisser la Vie décider de notre sort, ça veut de dire de prendre les moyens pour s’en sortir, être débrouillard, être dans l’action.
Si nos ancêtres avaient décidé de tout laisser entre les mains de la sélection naturelle, tu ne serais peut-être pas de ce monde, Bidou. Si ton grand-père s’était dit « non, je ne me fais pas vacciner contre la variole, je vais laisser la Vie choisir si je mérite de survivre » et qu’il en était finalement mort, tu ne serais pas là. Si les médecins n’avaient pas eu l’idée audacieuse d’ouvrir le ventre des mères pour aller chercher les bébés mal positionnés, ta mère n’aurait pas pu avoir une césarienne et vous seriez morts tous les 2. S’il n’y avait pas quelqu’un qui s’était dit, un jour « et si on prenait de l’insuline de porc pour l’injecter aux personnes souffrant de diabète? », tous les diabétiques que tu connais seraient morts. Ici, je donne des exemples de choses qu’on prend pour acquis. « Ben voyons, on ne meurt pas de ça, le diabète! ». « Franchement, la variole, ça n’existe même plus! ». « Il y a juste dans les pays pauvres que des femmes meurent en accouchant! ». Pourquoi est-ce qu’on prend tout ça pour acquis? Parce que d’autres personnes, avant nous, ont relevé leurs manches et ont trouvé des solutions.
Aujourd’hui, la solution est beaucoup plus simple que ça. Tu restes chez vous. Point. « Ouin, mais moi je m’en fous parce que j’en mourrai pas ». Hey, wake up, tu peux sauver des vies! Ça n’a jamais été aussi simple de déjouer ta foutue sélection naturelle et de sauver plein de gens. Lâche ton nombril un peu. En plus, dis-toi que, puisque tu aimes tant te prendre pour Dieu, aujourd’hui, tu peux le faire pour vrai, donc profites-en. Ton grand-père mérite moins la vie que toi? Ta voisine atteinte de fibrose kystique serait mieux de mourir, alors qu’elle aurait encore plusieurs belles années de vie devant elle? Ton neveu, qui avait déjà beaucoup de complications dû à la fragilité de ses poumons, mérite de mourir parce qu’il n’y avait plus de respirateur disponible à l’hôpital? Tout ça, juste pour que ta vie ne soit pas trop chamboulée? Ou juste pour une question de laisser la Vie se charger de la sélection naturelle?
Heureusement que, avec la sélection naturelle, la Vie a décidé de garder les plus débrouillards, ingénieux, proactifs, ceux qui ont fait que tu puisses non seulement vivre, mais aussi avoir une belle qualité de vie. Selon la neuroscientifique Sonia Lupien, qui étudie le stress et son évolution, ce ne sont ni les plus stressés, ni les moins stressés qui ont survécu dans l’histoire (voir son texte de blogue ici), ce sont ceux qui se situent au centre de la courbe. Donc, effectivement, on ne doit pas capoter et courir dans tous les sens comme des poules pas de tête en ne sachant pas quoi faire, mais il ne faut pas non plus refuser d’entendre l’avis des spécialistes et mettre sa vie et celle des autres en danger en étant trop relax.
Donc, à toi qui penses que ta génétique est plus hot que celle des autres et qui se croit au-dessus de tout ça, si jamais la sélection naturelle décidait, par malchance, que ça se terminait là pour toi, n’oublie pas de saluer ton grand chum Adolf rendu de l’autre bord.
J’en ai vraiment assez de cette stupide mode anti-lait qui se propage en Amérique du Nord sans raison valable. Les attaques viennent de partout et les grosses entreprises (comme, pour ne pas la nommer, celle qui, ironiquement, porte le nom du plus légendaire des taureaux) en profitent évidemment pour surfer sur cette vague et empirer les choses en prétextant vouloir aider à la santé des gens et de la planète, mais on sait très bien qu’il s’agit seulement que d’une autre façon de faire plus d’argent. Pourquoi s’en prendre à un aliment de base riche en toutes sortes de nutriments, alors qu’on devrait plutôt se questionner sur toutes les boissons riches en sucres ou en édulcorants qu’on consomme quotidiennement et qui n’ont aucune ou qu’une faible valeur nutritive : boissons gazeuses, boissons énergisantes, thés/cafés/eaux aromatisés et faussement vendus comme étant « naturels », kombucha, etc. Savez-vous qu’au Canada, on consomme, en moyenne, seulement 2/3 tasse de lait par jour par habitant (1) (ça inclut le lait dans les recettes), alors qu’on consommait encore, en 2015 (dernières données), 1 tasse de boisson gazeuse ou de jus sucré par jour par habitant (2)? Et cette quantité n’inclut pas les autres boissons sucrées.
« C’est une question d’environnement », direz-vous, parce que les méchants producteurs laitiers sont en train de détruire la planète? Encore là, c’est une fausse rumeur à la mode. La production de lait au Canada ne constitue que 1% des émissions de GES (gaz à effet de serre) au pays et l’empreinte environnementale du secteur est en constante diminution (3).
Mais qu’est-ce qu’on pourrait trouver d’autre, de plus original, pour poursuivre inutilement cette guéguerre? Ah! Mais oui, le cancer! LE mot à prononcer pour faire paniquer tout le monde. C’est d’ailleurs la dernière bombe qui est sortie dans les médias. Là, j’en ai eu plus qu’assez, je me devais de mettre les choses au clair.
L’étude en question
En fait, pour ceux et celles qui auraient manqué cette grosse sortie médiatique drama queen, on pouvait récemment lire en gros titres qu’une étude a conclu que de consommer 1 tasse de lait par jour augmentait le risque de développer un cancer du sein de 50% et que, si on aimait vivre dangereusement et qu’on osait boire de 2 à 3 tasses par jour, le risque était augmenté de 70 à 80%. Merde, je vais mourir, c’est sûr. Bizarrement, cette étude n’avait rien de concluant pour le yogourt et le fromage…pourtant fait avec du lait. Logique!
Dans les articles, on pouvait aussi lire que «les chercheurs ont observé une corrélation entre l’apparition du cancer du sein et la consommation de lait ». Pour le commun des mortels, c’est facile de conclure que le lait cause le cancer du sein avec cette phrase-là, donc en ajoutant des pourcentages effrayants, on capote! Mais, avant de jeter votre lait dans le lavabo, on va essayer de comprendre c’est quoi ça, un lien de corrélation.
La corrélation, c’est quoi?
Comme je l’ai dit, l’étude a conclu à un lien de corrélation entre le lait et le cancer du sein, ce qui veut dire qu’on ne parle pas d’un lien de causalité. Autrement dit, ça pourrait être dû à n’importe quoi d’autre que le lait, mais étant donné que les femmes qui buvaient du lait ont davantage fait partie de celles qui ont développé un cancer du sein, on a conclu à la corrélation entre les 2 événements (boire du lait + cancer du sein).
[Parenthèse ici: sur 52 795 candidates, seulement 1057 ont développé un cancer du sein et l’étude ne dit pas combien d’entre elles consommaient du lait. Petit 🙄(grand) détail qu’ils ont omis.]
Dans un lien de causalité, on aurait prouvé que c’était le lait qui était responsable du développement du cancer, mais ce n’est pas du tout le cas. Pour vous aider à comprendre, je vais prendre un exemple d’un lien de corrélation que j’ai trouvé dans le quotidien « Le Monde »4.
En France, 57% des décès ont lieu à l’hôpital. Donc, la probabilité de mourir à l’hôpital est supérieure à celle de mourir à la maison. Est-ce que ça veut dire que c’est dangereux d’aller à l’hôpital? Non, parce qu’on sait que les gens vont à l’hôpital quand ils sont malades, donc ça va de soi qu’on meurt plus souvent à cet endroit.
Vous voyez que, ce n’est pas parce qu’il y a corrélation entre 2 choses que l’une est la cause de l’autre. Il peut y avoir une tonne d’explications qui justifient cette corrélation.
Autrement dit, on aurait pu faire la même étude, mais avec la consommation de bananes. Si les femmes qui ont développé un cancer du sein mangeaient aussi des bananes, on pourrait donc dire qu’il y a un lien de corrélation entre la consommation de bananes et le cancer du sein.
Des détails qui font toute la différence
L’étude peut sembler sérieuse et impressionnante quand on apprend que 52 795 femmes âgées en moyenne de 57 ans y ont participé et ce, sur 8 ans. C’est ce qu’on peut appeler une étude de grande envergure. Ça n’empêche pas qu’il y a eu plusieurs défaillances qui font en sorte que les résultats deviennent plus que douteux.
La diète : Pour qu’une étude comme ça ait un peu d’allure, on doit au moins savoir ce qui se trouve dans l’assiette des gens…et vraiment MINIMALEMENT s’assurer que la consommation de lait reste constante. T’sais, on cherche à comprendre l’impact d’une consommation de lait, donc pour ça, il faut savoir la quantité de lait que la personne boit ou ne boit pas chaque jour. Mais…pouet pouet. C’est un détail qu’ils ont oublié de mesurer. Et ce n’est même pas une blague! Les chercheurs ont fait remplir un seul journal alimentaire aux participantes en début de recherche, puis, chow bye! Plus de questions là-dessus, ils n’ont fait que compiler les résultats à la fin de l’étude quant au développement ou non du cancer du sein en prenant pour acquis que la diète était restée exactement la même durant tout ce temps. Ma diète change d’une semaine à l’autre, imaginez en 8 ans!! Qui dit que la personne qui buvait 1 verre de lait par jour à ce moment-là l’a fait pendant 8 ans? On ne s’est pas plus questionné sur la qualité de la diète de la personne, par exemple sur la quantité de fruits et légumes consommés quotidiennement. Ça, la science l’a prouvé à plusieurs reprises: le fait de consommer beaucoup de légumes et fruits qui sont riches en antioxydants aide à prévenir l’apparition du cancer. Est-ce que les personnes qui en ont développé un en consommaient suffisamment? On ne le saura jamais. En plus, l’étude elle-même a montré que les femmes qui faisaient partie du groupe qui consommait du lait mangeaient aussi, en moyenne, plus de viandes rouges (déjà reconnues par l’Organisation mondiale de la Santé comme potentiellement cancérigènes si elles sont consommées en grandes quantités) et étaient moins actives. Ça ne prend pas un bacc. en sciences pour comprendre que le lait a peut-être pas mal moins à voir avec le risque augmenté de développer un cancer que le fait de manger plus de viandes rouges et d’être moins active…
Le poids : Nous savons déjà que l’obésité est un facteur de risque pour développer un cancer du sein. Les chercheurs disent avoir contrôlé la variable du poids pour éviter les biais (par exemple, conclure que c’est le lait le problème, alors que ce serait, en réalité, l’excès de poids) mais, encore une fois, en tournant les coins ronds, ils n’ont pesé les femmes qu’au début de l’étude. En 8 ans et en étant dans une période post-ménopause, on s’entend que les risques que leur poids ait changé est assez considérable.
Risque relatif et risque absolu (c’est scientifique, mais ça vaut la peine de lire ce petit bout de texte pour le reste de ta vie!)
En journalisme, sortir des chiffres qui représentent des risques relatifs, c’est gagnant! Ce l’est, parce que ce sont des chiffres impressionnants, comme le 50% d’augmentation des risques de développer un cancer du sein avec seulement 1 tasse de lait par jour. À ce rythme-là, si ça marchait comme ça, les femmes seraient en voie d’extinction. C’est là qu’il faut comprendre la différence entre un risque relatif et un risque absolu. On parle d’un risque relatif quand on compare 2 groupes de personnes, l’un faisant quelque chose, l’autre non. Je vais vous donner l’exemple du site Eufic5 pour vous faire une démonstration d’un risque relatif vs un risque absolu :
On compare 2 groupes de personnes : des gens qui consomment des viandes transformées (jambon, charcuteries, saucisses) vs des gens qui n’en consomment pas du tout. On calcule un risque augmenté de développer un cancer des intestins de 18% chez les consommateurs de viandes transformées par rapport à ceux qui n’en mangent pas. C’est le risque RELATIF.
Par contre, le risque de développer un cancer des intestins au cours d’une vie sans considérer aucun facteur en particulier, donc, pour tout le monde en général, est seulement que de 5,6%. Si on consomme des viandes transformées, ce risque est augmenté de 1% et est alors à 6,6%. C’est le risque ABSOLU. Autrement dit, quand on regarde les chiffres indépendamment (et non en comparant 2 groupes), le risque de développer un cancer des intestins dans une vie n’est pas tellement plus élevé quand on consomme des viandes transformées que quand on n’en consomme pas.
Revenons donc à notre étude. Selon eux, une personne qui boit 1 tasse de lait par jour à 50% plus de risques de développer un cancer du sein qu’une personne qui n’en boit pas (n’oubliez pas qu’il s’agit d’un lien de corrélation et non de causalité!). Ce pourcentage est le risque relatif, car on a comparé 2 groupes. Par contre, quand on regarde le risque absolu, c’est-à-dire quels sont les risques de développer un cancer du sein dans notre vie si on boit du lait vs si on n’en boit pas, sans comparaison avec personne, on parle d’un risque augmenté de 2% (toujours selon les données de cette étude). Au Canada, on estime qu’une personne sur 8 sera atteinte du cancer du sein au cours de sa vie6, donc 12,5% des gens. Si on ajoute le 2% pour une personne qui boit du lait (selon l’étude encore, je tiens à le préciser), le risque absolu serait de 14,5%. On est passé d’un risque augmenté de 50% à un risque augmenté de 2%…pas mal moins alarmant. Mais ça, ça ne vend pas 🤷♀️
Et tout ça, c’est en considérant que l’étude est bien faite mais, avec ce que je vous ai présenté ci-dessus, vous comprenez qu’il y a plusieurs facteurs qui permettent de douter fortement de ses conclusions.
Ce que j’en conclus
La vraie question à se poser est peut-être : pourquoi investit-on de l’argent dans une recherche qui cherche à montrer que le lait cause le cancer du sein? On n’a pas d’autres priorités, il me semble?! Surtout en sachant que d’autres études ont déjà essayé de prouver ce lien, mais n’en sont jamais arrivées aux conclusions qu’elles voulaient. Lâchez prise, gang!
Chaque fois qu’on vous parle d’une étude dans les médias, dites-vous qu’il s’agit d’UNE SEULE étude. Aucune recommandation scientifique n’a été établie à partir d’une seule étude. Ce sont les conclusions de plusieurs études bien exécutées et reconnues par un ensemble de scientifiques qui servent d’appui aux recommandations qu’on vous fait. Donc, si les résultats d’une étude vous inquiètent, avant de suivre la foule qui s’en va directement vers le volcan en éruption sans réfléchir, prenez le temps de respirer et de poser des questions aux bonnes personnes, les spécialistes du domaine (et là-dessus, j’ai déjà écrit tout un texte).
N’oubliez pas que le production laitière au Canada, c’est près de 12 000 fermes, 221 000 travailleurs et 19,9 milliards (chiffre de 2015) en contribution au PIB canadien7. Avant d’entacher la réputation du milieu sans avoir des preuves en béton, pensons aussi aux conséquences et à tous les gens qui seront touchés.
Là-dessus, je m’en vais boire mon verre de lait!
*Merci à la nutritionniste Abby Langer de la Nouvelle-Écosse qui a rédigé un article en anglais avec l’aide d’un épidémiologiste, ce sont les explications apportées dans cet article qui m’ont permis de vous vulgariser l’étude. Le texte de Mme Langer est disponible en entier ici: https://.com/no-milk-is-not-going-to-give-you-breast-cancer-the-latest-study-decoded/