Aujourd’hui, j’ai le coeur à l’envers. Après des années et, plus sérieusement, des mois de réflexion, j’ai choisi, à contre-coeur, de renoncer à mon titre de diététiste-nutritionniste que je détiens depuis 16 ans. J’ai donné tout ce que je pouvais à cette profession que j’ai défendue de toutes mes forces et que je continuerai de défendre, mais plusieurs raisons m’ont poussée à prendre cette décision difficile. Attention, ça ne signifie pas que j’arrêterai mes activités, simplement que je ne posséderai plus le titre de nutritionniste-diététiste.
Bien sûr, quand on ne connaît pas les ordres professionnels, on comprend mal la signification de ce geste et pourquoi il me rend si émotive. Je n’ai pas l’intention de vous donner un cours de droit, mais pour que vous compreniez un peu, sachez que ce que je fais ici, sur mon blogue, mes réseaux sociaux et dans mes programmes en ligne ne fait pas partie des actes réservés aux nutritionnistes-diététistes. Autrement dit, j’ai gardé ce titre pendant des années par entêtement à vouloir représenter « l’excellence » dans le domaine et non par obligation.
Pour celles que ça intéresse, voici les actes réservés des nutritionnistes-diététistes:
Selon l’article 37.1 du Code des professions, les deux activités réservées aux diététistes-nutritionnistes en nutrition clinique sont :
- Déterminer le plan de traitement nutritionnel, incluant la voie d’alimentation appropriée, lorsqu’une ordonnance individuelle indique que la nutrition constitue un facteur déterminant du traitement de la maladie;
- Surveiller l’état nutritionnel des personnes dont le plan de traitement nutritionnel a été déterminé1.
Vous remarquerez qu’elles visent les nutritionnistes qui oeuvrent en clinique et non celles qui, comme moi, font des communications.
Toutefois, il demeure que les nutritionnistes doivent aussi respecter leurs règlements et code de déontologie.
Étant dans un monde en pleine évolution et avec l’arrivée des réseaux sociaux, les ordres professionnels ont dû tenter de s’adapter aux changements rapides. Ce n’est pas une tâche facile. Malheureusement, je crois qu’une sérieuse mise à jour s’avère nécessaire pour que des nutritionnistes puissent continuer d’utiliser les réseaux sociaux sans avoir une épée de Damoclès qui leur pend au-dessus de la tête. Qu’est-ce qu’on peut faire? Qu’est-ce qu’on ne peut pas faire? Ce n’est pas toujours très clair.
Je ne souhaite pas faire le procès de qui que soit. J’espère seulement que de vous expliquer les raisons qui m’ont poussée à démissionner de l’ODNQ (Ordre des nutritionnistes et diététistes du Qc) vous aidera à mieux comprendre ma décision et d’éviter de la juger.
Voici les principaux points:
- On nous demande de « surveiller les commentaires des abonnés sur vos plateformes, s’assurer d’y répondre et rectifier toute information qui serait fausse en se basant sur la science. »2. S’il est impossible d’y parvenir, nous devons désactiver les commentaires. Il faut comprendre que, quand une vidéo devient virale, on peut recevoir des centaines de commentaires et la majorité d’entre eux contiennent de fausses informations. On peut facilement recevoir des dizaines de commentaires haineux mais, lorsque les notifications se multiplient, on perd facilement le fil. La solution de désactiver les commentaires peut paraître logique mais, premièrement, les grands perdants seraient nos abonnés. L’idée derrière le développement d’une communauté consiste à créer des échanges avec des gens qui s’intéressent à notre contenu. En enlevant cette possibilité, on censure la communauté. Ensuite, pour qu’une vidéo devienne virale, elle doit générer des interactions. En bloquant les commentaires, on diminue les chances de viralité, donc un moins grand nombre de personnes peuvent accéder à notre contenu pour lequel on travaille si fort.
- On nous demande d’indiquer clairement qu’il s’agit d’humour ou de sarcasme quand on publie sur nos réseaux sociaux et de faire preuve de vigilance quand on les utilise. Tout mon contenu est basé sur l’humour et le sarcasme. Je me mets donc à risque à chaque publication ou presque. Bien sûr, je pourrais simplement mettre des avertissements mais, pour avoir vécu l’expérience, certaines personnes se font un malin plaisir à chercher des « bibittes » et jouer l’ignorance …
- On nous demande aussi d’éviter de partager des aspects de notre vie personnelle sur nos réseaux sociaux et de s’assurer d’avoir une tenue vestimentaire appropriée qui ne nuit pas à la profession (appropriée dans le genre pas trop nue et/ou dans le genre pas trop « mou »?) … Vous comprendrez que mes vidéos en coton ouaté avec mon chien Léo ne semblent pas cadrer dans ces attentes. Toutefois, pour moi, ce type de contenu fait partie de l’authenticité que je tente de vous partager. Parler de nutrition, c’est bien beau, mais le côté humain prend une importance capitale pour moi. J’espérais pouvoir vous présenter ces deux côtés sans censure, dans le respect. Mes objectifs de créatrice de contenu impliquent de montrer qu’on n’est pas toujours sur notre 36 (31 pour les Français que je salue haha!), de représenter la vraie vie puisqu’on la voit trop peu sur les réseaux sociaux et que ça crée une énorme pression sur les épaules de la population. J’ai l’impression qu’on a toujours présenté l’image de la nutritionniste parfaite, bien habillée, mince, qui fait de l’exercice et qui mange du tofu. Je voulais briser cette image et nous rendre plus accessibles et humaines.
J’ai d’ailleurs fait une petite recherche Google pour voir les images qui ressortent quand on recherche le terme « nutritionniste » … Voici les résultats, ci-dessous. Quelle diversité corporelle!
- Parlons maintenant de l’éléphant dans la pièce, l’argent. Parce que oui, pour vivre, on en a besoin. La majorité des nutritionnistes travaillent pour des CISSS, donc n’ont pas à se soucier de leur source de revenus. Pour des nutritionnistes en communications, l’aspect monétaire se complexifie. Pour connaître plusieurs autres collègues dans le domaine, je peux dire sans hésitation qu’on aime notre communauté d’amour (comme une famille!). L’éducation prend une place importante dans nos coeurs. On souhaite changer le monde une publication à la fois et on ne compte pas nos heures, mais tout ça ne met pas de beurre sur nos tables. Quand on fait une conférence, on est payé par l’organisme ou l’entreprise qui l’a organisée (quoi qu’on se fasse parfois demander de les présenter gratuitement comme si c’était simplement dû!). Quand on écrit un article pour un journal ou qu’on y collabore, le plus souvent, il s’agit de bénévolat ou de « visibilité ». Chaque fois qu’on publie une vidéo (qui demande beaucoup plus de temps que l’on pense), que l’on répond aux commentaires et surtout, quand on passe de nombreuses heures à répondre avec tout l’amour et le professionnalisme du monde à chacun de nos abonnés, aucun revenu n’est généré (sauf quelques sous sur YouTube et, je crois, sur TikTok pour celles qui ont un très grand nombre de vues). Donc, pour avoir un revenu, on doit faire des collaborations commerciales. Toutefois, on ne peut faire n’importe quel genre de collaborations, avec raison! La crédibilité de la profession prendrait le bord s’il n’en était pas ainsi. Par contre, quand je lis les recommandations de mon ordre (futur ex ordre) à cet effet, je constate une grande place pour l’interprétation. Pour moi, il est tout à fait acceptable de collaborer avec des associations qui font la promotion d’une alimentation équilibrée, de partager l’importance de consommer une variété d’aliments incluant des fruits et légumes, des produits laitiers, des produits céréaliers à grains entiers et des viandes et substituts (tels que présentés dans le Guide alimentaire canadien). Toutefois, vous connaissez la complexité des énoncés de lois … c’est la même chose ici. Je vous épargne l’énoncé en tant que tel. J’en conclue que les collaborations sont « acceptées » du bout des lèvres, mais à nos risques et périls. Si quelqu’un interprète la collaboration d’une certaine façon et que son point est considéré valable devant la Cour … on peut se retrouver dans de beaux draps. Aussi, on ne peut pas collaborer avec des entreprises sans lien direct avec la nutrition. Par exemple, si une compagnie de manteaux d’hiver m’avait contactée pour collaborer avec eux (puisque je marche souvent dans le bois l’hiver et je vous fais des stories), je n’aurais pas pu l’accepter, car ça aurait été vu comme une motivation 100% pécuniaire. Pourtant, je n’aurais nuit à personne et ça m’aurait permis d’aller chercher un revenu pour continuer de créer du contenu en nutrition. Bien sûr, je comprends tout à fait qu’on ne puisse pas collaborer avec n’importe qui et n’importe comment. De toute façon, nutritionniste ou pas et même si je n’aurai dorénavant plus de restrictions quant à mes collaborations, je n’accepterai que celles qui cadrent avec mes valeurs.
- Je suis une GRANDE anxieuse et perfectionniste … pas perfectionniste comme une qualité, mais plutôt comme un GROS défaut. Quand j’ai fait mes stages durant mon baccalauréat, j’ai pleuré chaque matin (les stages durent plus d’un an). Pour moi, faire un examen à l’école, c’est (devenu) facile. Par contre, qu’on analyse mon travail, qu’on le scrute, qu’on le note … juste à y penser, je panique. Je peux même vous raconter la journée où, à la fin de mon baccalauréat en décembre 2007, j’ai traîné ma mère et ma soeur dans mon petit Accent orange brûlé de Mont-Laurier à Québec dans la plus grosse tempête de neige que j’ai vue de ma vie. L’autoroute 40 a fermé entre Trois-Rivières et Québec (après qu’on soit passée) tellement il neigeait et ventait. Le SEUL restaurant ouvert arrivées à Québec était le McDonald. Tout était fermé. Pourquoi aie-je été si téméraire? Je devais rencontrer pour la première fois mon ordre professionnel et on m’avait dit que ma présence était OBLIGATOIRE, malade, pas malade, qu’aucune raison ne pouvait justifier mon absence de cette réunion cruciale. Devinez quoi? Elle a été annulée. Ma mère et ma soeur m’en parlent encore aujourd’hui. Je vous raconte tout ça pour vous donner une idée du genre d’énergumène que je suis. J’ai vécu une inspection professionnelle qu’une seule fois dans ma carrière et je n’en ai pas dormi pendant des jours. Non pas que j’avais à me soucier de quoi que ce soit. Je savais que je respectais les critères de l’Ordre. Mais, je suis comme ça. Je n’ai pas besoin qu’un ordre professionnel me « surveille » pour me tenir à jour et m’assurer que mes propos soient les plus justes possibles, je suis ma plus grande critique. Soyez donc assurées que je vais poursuivre ma formation continue et garderai une grande rigueur dans mon travail.
Voilà, j’espère que ça vous éclaire. J’ai choisi l’authenticité et la transparence, plutôt que de tenter de passer cette situation sous silence par respect pour vous et pour mes valeurs. Je tiens à ce que ce soit clair: je crois pleinement en l’importance des ordres professionnels et je continuerai d’appuyer la nécessité d’une formation reconnue et d’un encadrement de la profession de nutritionniste. Toutefois, comme mon travail ne nécessite pas que je fasse partie d’un ordre et que le fait de le quitter ne m’enlèvera pas mes 16 années d’expérience ni mon sens de la rigueur, j’ai choisi cette option.
Vous pouvez m’écrire si vous avez des questions, ça me fera plaisir d’y répondre: info@lamauditenutritutrice.com
Je serai encore nutritionniste jusqu’au 31 mars 2024.
* Mon nom est la Maudite NutriTUTRICE (comme institutrice) et ce, depuis toujours! Je l’avais choisi en gardant en tête la possibilité de quitter l’Ordre un jour. Même si je perds mon titre de nutritionniste, je demeure bachelière en nutrition.
** Je travaille actuellement à modifier mes titres un peu partout, mais comme il est présent à plusieurs endroits que j’ai probablement même oubliés, je préférerais que vous me contactiez pour m’avertir qu’un titre traîne encore quelque part pour que je puisse aller le modifier plutôt que vous fassiez une plainte à l’Ordre, s.v.p. Merci!
- ODNQ. https://odnq.org/grand-public/les-activites-reservees-et-autorisees/activites-reservees/
- Guide « Normes de pratiques relatives à l’utilisation de médias sociaux ». https://odnq.org/wp-content/uploads/2023/08/Guide_media_sociaux_20230814_FINAL.pdf